Par Anselm Grun
On peut envisager le silence sous différents points de vue : une absence de parole, une attitude intérieure de recueillement, une lutte contre ses mauvaises conduites, mais c'est aussi une attitude positive. Faire silence, en tant qu'attitude active, ne consiste pas à s'abstenir de parler et de penser, mais à renoncer à nos pensées et à notre discours. La capacité de quelqu'un à faire silence ne se mesure pas à l'importance de ses paroles, mais à son aptitude à s'oublier.
Il arrive même que quelqu'un qui se tait extérieurement, refuse parfois ce renoncement, qui est l'enjeu effectif du silence. Il se retranche dans son silence, afin d'être insaisissable ou pour esquiver le combat de la vie, afin de pouvoir s'accrocher à lui-même et à son image idéale. Pour beaucoup, le silence est une régression, un retrait dans l'irresponsabilité du sein maternel. Ce danger existe avant tout chez les jeunes gens, qui veulent se prescrire de façon prématurée le silence comme voie unique. Ils voudraient se sentir protégés dans le silence, se refusant à voir leurs rêves réprimés par la lutte de la vie. Le silence devient en ce cas un attachement obstiné à soi.
Or parler, c'est toujours s'exposer à autrui : on prête le flanc à l'attaque et les parole peuvent être objet de critique ou de moquerie. Nos paroles peuvent nous couvrir de ridicule. Bon nombre de personnes se taisent par orgueil, de peur de s'exposer. On ne peut pas renoncer à soi et à l'image qu'on a de sa perfection. Mais il vaudrait mieux courir le risque de se laisser couvrir de ridicule en s'exprimant. Si je découvre à quel point j'ai parlé de façon burlesque et si je rends grâces à Dieu d'avoir été dérisoire en parlant, je renonce vraiment à moi. Car je cesse de m'en tenir à l'image édifiante que les autres devraient se faire de moi, et je puis rendre grâces à Dieu, en reprenant les paroles du psalmiste : "(C'est) un bien pour moi que d'être affligé : apprends-moi tes volontés !" (Ps 118, 71). Je ne m'occupe pas de savoir comment j'aurais pu parler d'une autre façon qui soit plus édifiante, mais je renonce à moi et à ces images idéales, pour m'en remettre totalement à Dieu.
C'est de ce renoncement qu'il est finalement question dans le silence. Le silence, au sens de l'abandon, de la mort et de l'émigration, ne se rapporte pas seulement au discours, mais à toute notre activité. Il marque toute notre vie et serait à même de la rendre plus authentique, plus libre et plus humaine ; parce qu'il nous dépouille de tout ce qui peut altérer notre être, de ce qui menace d'étouffer le fond de notre coeur, et qui nous éloigne de cette image que Dieu a déposée en nous. Le but du silence est de nous rendre plus disponibles à Dieu, de sorte que l'Esprit divin se répande dans toutes nos entreprises, dans notre pensée et notre action. Le silence devrait nous rendre transparents à l'Esprit de Dieu, au point que Dieu puisse prendre la direction de notre vie. Ce n'est pas nous qui déterminons notre vie, vu notre étroitesse et notre égoïsme, mais c'est l'Esprit de Dieu luimême auquel dans notre silence nous nous remettons et nous nous confions. Anselm Grün, Apprendre à faire silence,
Desclée de Brouwer 2001
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